Paris, le 3 novembre 2021
Lettre ouverte aux parlementaires
Madame la députée, Monsieur le député, Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur,
Construisons la réadaptation de demain sur la concertation interprofessionnelle
Le PLFSS 2022 comporte de nombreuses mesures visant à améliorer l’accès aux soins des Français. Les articles 40 et 41 du PLFSS 2022 adopté par l’Assemblée nationale le 26 octobre 2021 ainsi que certains amendements comportent des dispositions organisant l’accès direct des patients aux orthoptistes, aux orthophonistes et aux masseurs-kinésithérapeutes.
Le SYFMER, syndicat représentant toutes les formes d’exercice de la Médecine physique et de réadaptation approuve les motifs invoqués : la réponse à la multiplication des déserts médicaux, le souci de l’évolution des professions paramédicales et enfin la nécessité de « faire gagner du temps aux médecins ». Toutefois il s’insurge contre les conséquences du renouvellement des prescriptions sans passer par un médecin et de l’accès direct tel qu’il est envisagé.
Ces mesures risquent, à l’inverse de leurs objectifs affichés, d’aggraver les difficultés d’accès à un diagnostic et à une stratégie globale préventive, curative, fonctionnelle et sociale. Les nouveaux besoins de la population, du fait des polypathologies chroniques, des limitations d’activités et de leurs interactions avec les facteurs socio-environnementaux incitent au contraire à favoriser le travail en équipes pluriprofessionnelles coordonnées, médicalisées et spécialisées autant que nécessaire.
La solution au problème des déserts médicaux impose de préserver la qualité, l’égalité et la sécurité des soins. Ne prenons pas le risque de multiplier des niveaux de soins en silos et mal coordonnés et de faciliter la multiplication de séances dont la pertinence est discutable au détriment des soins de réadaptation d’utilité prouvée.
Nous attirons votre attention sur l’absence de définition claire de l’expression « accès direct » utilisée dans le PLFSS. S’agit-il de rembourser des interventions où le patient ne rencontrera pas de médecin ou bien de favoriser l’entrée dans un épisode de soins en identifiant de nouvelles compétences dans le cadre de prises en charge interprofessionnelles protocolisées et supervisées par un médecin ? Ces modalités ne relèvent pas des mêmes niveaux de formation.
Nous vous prions de considérer que l’offre de soins de demain se construira avec les parties prenantes sans omettre la concertation avec les organisations médicales. C’est le préalable à des expérimentations qui permettraient à des professionnels de santé intervenant en premier recours d’orienter efficacement des patients sans un diagnostic médical préalable.
Notre inquiétude est d’autant plus vive s’agissant des masseurs-kinésithérapeutes et des orthophonistes : comment attendre de ces mesures l’amélioration de l’accès aux soins quand les déserts de rééducateurs sont superposables aux déserts médicaux, quand les délais d’accès à la rééducation en ville sont démesurés pour les patients ayant des atteintes neurologiques et quand les refus de prises en charge par les rééducateurs de soins prescrits par les médecins aboutissent à des renoncements aux soins, surtout pour les moins autonomes?
Le risque d’une démarche autoritaire et descendante est d’aggraver la discontinuité des parcours de soins, les prises en charges inadaptées et les pertes de chances en particulier pour les populations fragiles, peu habiles à se mouvoir dans le système de santé, âgées et/ ou handicapées. Celles-ci ont déjà un accès insuffisant et chaotique au diagnostic médical, en médecine générale ou spécialisée et à des programmes de réadaptation coordonnés. Une aggravation dramatique de ces errances a été observée lors de la pandémie COVID.
Plus généralement, les professionnels de premier recours ne peuvent orienter seuls les patients dans les parcours tant qu’ils ne sont pas formés pour faire un diagnostic médical. Laisser croire, contre l’évidence, que dans les maladies chroniques le diagnostic médical est fait est une contre vérité dangereuse. Souvent intriquées, aux symptômes inapparents, aux complications insidieuses, au pronostic fonctionnel complexe, elles relèvent de plus en plus souvent d’équipes de soins spécialisées. Nous notons avec la HAS que les dysfonctionnements des parcours des patients atteints d’accident vasculaire cérébral sont à cet égard exemplaires et doivent servir de trame pour les réflexions futures.
Nous sommes favorables à l’évolution des professions paramédicales et au processus d’universitarisation. Toutefois, Les pratiques avancées qui à l’étranger aboutissent à de nouvelles compétences et aux diverses formes de l’accès direct supposent une réingénierie concertée des maquettes de formation, des diplômes et des textes relatifs à l’exercice professionnel, voire l’identification de nouveaux métiers. Elle ne s’improvise pas dans un PLFSS. Il est impossible de faire l’économie d’une réforme de la formation des professions paramédicales avant de les mettre en responsabilité d’un accès direct.
Nous vous demandons de vous opposer résolument à une dérégulation non concertée qui abolirait le droit au diagnostic médical au nom d’arguments qui ne reposent sur aucune preuve scientifique. Nous vous invitons à promouvoir le déploiement des équipes de soins spécialisées dont les équipes mobiles dans les établissements, en ambulatoire, à domicile et dans tous les lieux de vie. Il convient d’encourager la transposition dans le secteur ambulatoire des modèles d’organisation qui ont fait leurs preuves dans les établissements de santé.
Le SYFMER ne doute pas que vous saurez soutenir à l’Assemblée nationale ou au Sénat la modification radicale des dispositions organisant cette forme dangereuse de d’accès direct. Il espère que vous favoriserez une démarche méthodologique concertée pour que le champ de la réadaptation soit enfin structuré avec tous ses acteurs dans la perspective d’une meilleure accessibilité à des soins pertinents, gradés et mieux coordonnés.
Nous vous prions d’agréer, Madame la députée, Monsieur le député, Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur, l’expression de notre haute considération.
Pour le SYFMER
Jean-Pascal Devailly
Président du SYFMER
06 60 65 25 51
jpdevailly@gmail.com