Lettre du SYFMER de décembre 2021 : promouvoir l’accès aux soins de réadaptation

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I. Un système où les soins primaires ne garantissent plus l’accès à un médecin

Dans la dernière lettre du SYFMER nous montrions que la mesure dite « d’accès direct » signifie son contraire en termes de droit d’accès aux soins. La loi Rist annonçait un rapport sur l’exercice de l’art de la MK sans prescription médicale. Pourtant dans une saisine de l’IGAS du 8 octobre 2021, antérieure à la discussion du PLFSS, O. Véran semble acquis à cette forme d’exercice avant même toute évaluation. Il regrette que les protocoles de coopération ne soient possibles que dans les Maisons ou Centres de santé pluriprofessionnels : 2% seulement des MK exerceraient en structure d’exercice cordonné. Ce constat ignore l’exercice de la MK en établissements de soins 2. C’est le signe d’un fort lobbying pour promouvoir davantage d’exercice en silo, sans intégrer l’apport des équipes pluriprofessionnelles déjà existantes.

Sommes-nous prêts à accepter un système de santé où l’organisation des soins primaires ne garantit plus l’accès aux médecins ? Le faut-il ? Quelles preuves et quelle transférabilité des modèles étrangers ? Quelles arrière-pensées économiques en contexte de rationnement et de triage ? Quelles garanties faut-il exiger ?

  1. Une dérégulation sans précédent depuis la Révolution française

Face aux réactions des organisations médicales à propos de l’accès direct, Olivier Véran « pourfend le corporatisme médical » 1. Cette rhétorique des pouvoirs publics, classique dans notre système santé, oublie comment furent justifiés les pires excès de la dérégulation anti-corporatiste de la médecine sous la révolution française, afin de libérer le libre marché de tout obstacle à l’exercice des professions :

Les lois Le Chapelier et d’Allarde (1791) ont interdit tout groupement professionnel et supprimé les corporations au nom de la liberté du travail et de la libre concurrence.

La fermure des écoles de médecine et des universités fut décrétée en 1792 et 1793.

La loi du 10 mars 1803 (loi de Ventôse) relative à l’exercice de la médecine vint remettre de l’ordre face au chaos et au charlatanisme induits par cette dérégulation radicale. Elle établit le monopole du droit d’exercer « l’art de guérir » des docteurs en médecine ou en chirurgie et des officiers de santé.

La loi Chevandier (1892), la couverture médicale du territoire étant jugée suffisante, supprima les officiers de santé dont la création avait été rendue indispensable par la pénurie de médecins.

La dénonciation récurrente du corporatisme intervient dès qu’on veut réduite le poids de la logique professionnelle dans l’affrontement des quatre logiques inconciliables que sont les logiques technocratique, marchande, professionnelle et démocratique. Les deux logiques technocratiques et marchandes, si elles dominent les deux autres, transforment les soignants en simples exécutants aux ordres du management.

  1. Exercice en pratique avancée et réorganisation des soins primaires

En France l’impact des réformes de la LFSS 2022 en termes d’égalité d’accès aux soins, de qualité et de solidarité doit être analysé en tenant compte de l’organisation spécifique des soins de santé primaires, notamment au regard de l’exercice en équipes pluridisciplinaires et pluriprofessionnelles.

Le terme inapproprié car sémantiquement trompeur « d’accès direct » a été promu dans la LFSS 2022 par des organisations de professionnels paramédicaux exerçant essentiellement en secteur libéral sur un mode passéiste, isolé et mono-professionnel, éloigné du fait de l’organisation française des soins primaires des nouveaux modèles d’exercice libéral intégrés en équipes de soins interprofessionnelles. De ce fait, leur approche de l’accès direct diverge du principe de la pratique avancée.

L’exercice en pratique avancée pour les auxiliaires médicaux est intégré dans la loi française depuis la loi de 2016. Cet exercice particulier peut se dérouler au sein de plusieurs équipes pluridisciplinaires : parmi une équipe de soins primaires coordonnée par le médecin traitant, au sein d’une équipe de soins en établissements de santé, dans des établissements médico-sociaux coordonnée par un médecin ou encore en collaboration avec un médecin spécialiste, au sein d’une équipe de soins spécialisée en ambulatoire.

Le développement effectif de l’exercice en pratique avancée ne peut s’envisager que simultanément à une réforme profonde de l’organisation de l’offre et des parcours de soins. Les défaillances de l’organisation et d’un financement en silos de prestataires ont été abondamment dénoncées. Il convient de garantir aux patients un droit d’accès en temps utile à des équipes pluriprofessionnelles capables de faire un diagnostic médical, de gérer une démarche intégrée de prévention, de traitement et de soutien, mais aussi d’orienter autant que de besoin vers les soins secondaires ou tertiaires. Le SYFMER promeut la notion d’équipes de soins spécialisées, un mode d’organisation encore trop peu développé en soins de ville.

Liens vers les communiqués et lettres aux parlementaires


 

II. La confusion terminologique à l’épreuve des faits

Le terme inapproprié « d’accès direct » sert à désigner dans le PLFSS 2022 l’ouverture d’expérimentations visant à permettre aux masseurs-kinésithérapeutes (MK) et aux orthophonistes « l’exercice de leur art sans prescription médicale » (article 73 et 74 du texte définitif du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2022 adopté le 29/11/2021). L’accès direct existe déjà mais il n’est pas remboursé par l’Assurance-maladie et il exclut les actes diagnostiques et thérapeutiques réservés aux médecins. Les modèles étrangers invoqués pour ouvrir cet accès direct au nom de la pénurie de médecins sont des plus hétérogènes, reposant sur des organisations des soins primaires radicalement différentes. Ils doivent être comparés et évalués avant de les imposer à la hâte, sans concertation ni adaptation.

Considérant que les MK et orthophonistes sont des professions du champ de la réadaptation qui doivent dispenser des interventions d’efficacité prouvée au sein de parcours de santé intégrés, nous observons :

  1. Que les bilans effectués par les MK en soins de ville sont exceptionnellement adressés aux prescripteurs. Les parcours de santé sont déjà trop fragmentés et les patients ne sont pas toujours réadressés à temps au prescripteur lors de complications médicales de diagnostic difficile.
  2. Que les prescriptions médicales de réadaptation ne peuvent plus être mises en œuvre pour les personnes atteintes de maladies chroniques handicapantes, particulièrement pour les patients atteints de lésions cérébrales ou médullaires, acquises ou congénitales, de pathologies dégénératives du système nerveux ou musculosquelettique, de cancer, de maladies inflammatoires chroniques. La réadaptation dans la filière AVC est fortement impactée, dans un contexte de rareté des lits, des effectifs et des structures hospitalières et ambulatoires de réadaptation, par des processus de « triage ». Ceux-ci ont été soulignés, avant même la pandémie, en hospitalisation aigue, lors de l’orientation vers les SSR, les alternatives ou vers les soins de ville déjà très défaillants. Les premières victimes sont les personnes à risque de handicap.

Ce constat est avéré même dans les territoires à forte densité en rééducateurs, comme en témoigne le rapport URPS Kiné Ile-de-France sur l’accès aux MK 3. Notons que les déserts paramédicaux se superposent aux déserts médicaux, ce qui rend encore plus illusoires les mesures de la LFSS 2022.

  1. Qu’un déplacement des actes de réadaptation vers des soins de bien être, de confort, de thérapeutiques d’efficacité non prouvée voire de médecine alternative s’est déjà opéré et que l’extension de l’exercice sans prescription, s’il était remboursé, pourrait conduire à réduire encore la couverture de la réadaptation véritablement thérapeutique. Le remboursement des actes de réadaptation doit toutefois être réformé radicalement si l’on veut pouvoir accueillir les populations signalées plus haut.

  2. Que cette réponse inadaptée et non concertée à la question de la pénurie médicale risque de conduire à une aggravation de l’inégalité d’accès aux soins dans ses aspects financiers, géographiques et sociaux en multipliant inutilement l’asymétrie d’information et la complexité de l’orientation dans un système qui peine à grader les soins sans les rendre de plus en plus illisibles pour les usagers et les professionnels. Le « triage », même fondé sur des red flags, tel que décrit par certaines organisations en référence à des modèles internationaux ne peut en l’état actuel des choses qu’aggraver les risques de pertes de chances inacceptables.

  3. Qu’il existe de plus en plus, en ambulatoire et en hospitalisation, des formes de travail en équipe où la classique prescription s’intègre à des protocoles ou programmes de soins construits en commun. La prescription médicale, en l’état actuel de la formation des paramédicaux, reste aujourd’hui indispensable pour garantir la pertinence des soins. Le combat affiché contre la domination de la prescription médicale descendante est une approche déjà dépassée qui préoccupe surtout certains professionnels paramédicaux exerçant leur activité en silo et rémunérés à l’acte. Dans cette vision caricaturale, la prescription médicale non qualitative et non quantitative reste médico-légale mais elle a été vidée de son sens. Cette préoccupation qui semble avoir emporté la décision ne correspond plus aux formes de la réadaptation adaptées aux polypathologies chroniques et au vieillissement de la population. En réalité les nouvelles pratiques justifient une mise en forme explicite de la coordination interprofessionnelle, notamment dans le champ spécifique de la réadaptation.

  4. Que les MK 3 et les orthophonistes 4 quel que soit le niveau du diplôme reconnu (master 1 ou 2, professionnel ou universitaire) ne sont pas formés aujourd’hui au diagnostic médical. Toutes les professions paramédicales ont une large autonomie de décision dans la façon d’appliquer leur art qui repose indiscutablement sur un « diagnostic ». Ces diagnostics reposent bien sur des modèles multidimensionnels de la santé mais ne constituent pas un diagnostic médical reposant sur la capacité acquise lors de longues formations théoriques et pratiques à relier des symptômes, une nosologie médicale et un répertoire d’interventions possibles, avec une place majeure pour les diagnostics différentiels.

  5. Que l’évolution des professions de santé ne peut être décidée par une réingénierie « hors sol » reconfigurant tous les métiers à partir des « besoins » dont nous savons que notre système d’information en rend les catégories encore embryonnaires. L’analyse des modèles étrangers, de la réalité des niveaux de preuves, de la possibilité et de l’intérêt de leur transposition au système institutionnel français s’impose, alors que nous avons 1 médecin pour 2 à 3 km2 contre 1 pour 100 km2 environ au Québec ou en Australie. Il n’y a pas de preuves tangibles en termes d’outcome (le résultat clinique pour le patient) ni en termes d’espérance de vie sans incapacité. Quant aux études de coût, elles sont contradictoires. Cette analyse critique doit se combiner avec une réflexion concertée sur la réforme des diplômes, des maquettes de formation et des textes relatifs à l’exercice professionnel, en cohérence avec les autres professions de santé. Cette démarche ambitieuse suppose une large réforme de notre système de santé et de la protection sociale non un « cavalier social » inclus d’autorité dans une loi de financement de la sécurité sociale.

III. Perspectives pour la santé de demain : structurer le champ de la réadaptation

Le Haut conseil sur l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) 5 incite, pour pallier les défaillances de la segmentation des prestataires, à organiser et financer notre système de santé par destination des soins (prévention, soins curatifs, réadaptation et accompagnement de la perte d’autonomie). En France, le champ de la réadaptation n’est ni identifié, ni structuré, ni doté d’un système d’information dédié. Il devrait pourtant avoir pour objectif d’optimiser la performance fonctionnelle à toutes les étapes des parcours des personnes dont l’état de santé les confronte au risque de handicap. Il englobe selon l’OMS le secteur multidisciplinaire de la médecine de réadaptation dont en France plus de 2200 médecins de MPR. Ce secteur implique bien d’autres disciplines médicales, les professions de réadaptation et les dispositifs d’assistance.

Un champ de la réadaptation structuré, organisé et financé en fonction des besoins de la population doit aujourd’hui s’appuyer sur des équipes de soins médicalisées et spécialisées autant que de besoin, associant médecin, paramédicaux et autres professionnels nécessaires au champ de la réadaptation. Ces équipes multi professionnelles de soins spécialisées doivent associer la mobilité entre établissements, vers le domicile ou les lieux de vie. Elles émanent des structures ambulatoires ou du secteur hospitalier. Rappelons que ce champ inclut aussi la prescription adaptée des dispositifs d’assistance (aides techniques).

  1. Véran défend l’accès direct aux paramédicaux « parfaitement compétents », pourfend les corporatismes et recadre l’Ordre des médecins CYRILLE DUPUISLOAN TRANTHIMY -Quotidien du médecin, le 09/11/2021
  2. En 2020, selon le CNOMK, les MK inscrits sont 90315, dont 85% de libéraux et mixtes et 15% de salariés exclusifs.
  3. L’accès aux soins des masseurs-kinésithérapeutes en Île-de-France. Mars 2021
  4. En 2019 selon la DREES on dénombre 25 607 orthophonistes en France (20 787 libéraux ou mixtes, 1 876 hospitaliers et 2 868 autres salariés).
  5. Avis du HCAAM du 22 avril 2021 sur la régulation du système de santé

IV. DPC et recertification périodique : rien n’est encore clair !

Le DPC une obligation triennale : les trois modalités

Mise en place d’un Comité national de la recertification périodique

L’an prochain : des enjeux clés pour la MPR

L’année 2022 verra la sortie des décrets « SMR », la mise en œuvre de la nouvelle classification à visée tarifaire en SSR, la mise en œuvre de la réforme des nomenclatures (CCAM et CSARR), les travaux sur les orientations prioritaires du DPC et sur la recertification périodique, la poursuite des travaux sur les protocoles de coopération et sur la prescription des aides techniques.

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Excellentes fêtes de fin d’année

 As de Pique 2022 Annecy Jeudi 3 et Vendredi 4 Mars 2022

Forum des pratiques professionnelles de Montpellier : mercredi 23 mars 2022

« La performance en réadaptation » dans le cadre des EMPR 23 au 25 mars 2022

Jean-Pascal Devailly, Président du SYFMER 06 60 65 25 51 – jpdevailly@gmail.com