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Le SYFMER appelle à structurer le champ de la réadaptation en France

Les article 73 et 74 du texte définitif adopté le 29/11/2021 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2022 organise un « accès direct » vers les masseurs-kinésithérapeutes (MK) et les orthophonistes. « À titre expérimental, dans le cadre des structures d’exercice coordonné …, l’État peut autoriser les masseurs-kinésithérapeutes à exercer leur art sans prescription médicale pour une durée de trois ans, dans aux plus cinq départements d’une même région et dans au moins un département d’outremer » … « Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Haute autorité de santé et de l’Académie nationale de médecine, précise les modalités de mise en œuvre de l’expérimentation mentionnée au I du présent article, les départements concernés par cette expérimentation ainsi que les conditions d’évaluation de l’expérimentation en vue d’une éventuelle généralisation. Un rapport d’évaluation est réalisé au terme de l’expérimentation et fait l’objet d’une transmission au Parlement par le Gouvernement. »

Présentée sous le nom « d’accès direct » aux MK, avec des dispositions similaires pour les orthophonistes, cette mesure habiliterait ces professionnels à pratiquer des actes diagnostiques et thérapeutiques sans prescription ni supervision médicale, pris en charge par l’assurance maladie. Elle constitue une transformation radicale de notre système de santé qui ne relève pas d’une LFSS. Cette approche à marche forcée relève d’un transfert complexe de compétences dont les contours restent à préciser.

En réalité cette mesure dite « d’accès direct » signifie son contraire en termes d’accès aux soins, d’accès au diagnostic médical et à un programme thérapeutique global et coordonné. Le raisonnement clinique et le « diagnostic » reconnu de ces professions ne peut être assimilé à un diagnostic médical auquel ces professionnels ne sont pas formés à ce jour. Dans une saisine de l’IGAS du 8 octobre 2021, donc antérieure à la discussion du PLFSS, et alors que la loi Rist annonçait un rapport sur l’exercice de l’art des masseurs-kinésithérapeutes sans prescription médicale, le ministre semble déjà acquis à cette forme d’exercice avant même toute évaluation. Il regrette que les protocoles de coopération ne soient possibles que dans les Maisons ou Centres de santé pluriprofessionnels : 2% seulement des MK exerceraient en structure d’exercice cordonné ce qui semble ignorer tout l’exercice de la MK en établissements de soins. C’est le signe d’un puissant lobbying pour promouvoir de nouvelles formes d’exercice en silo et non en équipes pluriprofessionnelles coordonnées.

Si elle est défendue par les pouvoirs public comme moyen de répondre à la pénurie de médecins et aux déserts médicaux, comme moyen de faire gagner du temps aux médecins et de favoriser l’évolution des professions paramédicales, elle remet en cause l’objectif d’un droit réel et non seulement formel d’accès direct à un médecin, acquis depuis la fin du XIXème siècle, consolidé par la sécurité sociale en 1945 et partie intégrante de notre protection sociale solidaire.

La confusion terminologique à l’épreuve des faits

Le terme très mal défini d’accès direct sert à désigner dans le PLFSS 2022 l’ouverture d’expérimentations visant à permettre aux masseurs-kinésithérapeutes (MK) et aux orthophonistes « l’exercice de leur art sans prescription médicale ». L’accès direct existe déjà mais il n’est pas remboursé par l’assurance-maladie et il exclut de nombreux actes diagnostiques et thérapeutiques réservés aux médecins. Les modèles étrangers invoqués pour ouvrir cet accès direct au nom de la pénurie de médecins sont des plus hétérogènes. Ils doivent avant tout être comparés et évalués avant de les imposer à la hâte sans concertation ni adaptation.

Considérant que les MK et orthophonistes sont des professionnels du champ de la réadaptation qui doivent dispenser des interventions d’efficacité prouvée au sein de parcours de santé intégrés, nous observons :

  1. Que les bilans effectués par les MK en soins de ville sont exceptionnellement adressés aux prescripteurs. Les parcours de santé sont déjà trop fragmentés et les patients ne sont pas toujours réadressés à temps au prescripteur lors de complications médicales de diagnostic difficile

  2. Que les prescriptions médicales de réadaptation ne peuvent plus être mises en œuvre pour les personnes atteintes de maladies chroniques handicapantes, particulièrement pour les patients atteints de lésions cérébrales ou médullaires, acquises ou congénitales, de pathologies dégénératives du système nerveux ou musculosquelettique, de cancer, de maladies inflammatoires chroniques 1. La réadaptation dans la filière AVC est fortement impactée, dans un contexte de rareté des lits, des effectifs et des structures hospitalières et ambulatoires de réadaptation, par des processus de « triage ». Ils ont été soulignés, avant même la pandémie, en hospitalisation aigue, lors de l’orientation vers les SSR, les alternatives ou vers les soins de ville déjà très défaillants. Les premières victimes sont les personnes à risque de handicap. Ce constat est avéré même dans les territoires à forte densité en rééducateurs, comme en témoigne le rapport URPS Kiné Ile-de-France sur l’accès aux MK 1. Notons que les déserts paramédicaux se superposent aux déserts médicaux, ce qui rend encore plus illusoires les mesures du PLFSS.
  1. Que le déplacement des actes de réadaptation vers des soins de bien être, de confort, de thérapeutiques d’efficacité non prouvée voire de médecine alternative s’est déjà opéré et que l’extension de l’exercice sans prescription, s’il était remboursé, pourrait conduire à réduire encore la couverture de la réadaptation véritablement thérapeutique. Le remboursement des actes de réadaptation doit toutefois être réformé radicalement si l’on veut pouvoir accueillir les populations signalées plus haut.
  2. Que cette réponse inadaptée et non concertée à la question de la pénurie médicale risque de conduire à une aggravation de l’inégalité d’accès aux soins dans ses aspects financiers, géographiques et sociaux en multipliant inutilement l’asymétrie d’information et la complexité de l’orientation dans un système qui peine à grader les soins sans les rendre de plus en plus illisibles pour les usagers et les professionnels. Le « triage », même fondé sur des red flags, tel que décrit par certaines organisations en référence à des modèles internationaux ne peut en l’état actuel des choses qu’aggraver les risques de pertes de chances inacceptables.

  3. Qu’il existe de plus en plus, en ambulatoire et en hospitalisation, des formes de travail en équipe où la classique prescription s’intègre à des protocoles ou programmes de soins construits en commun. La prescription médicale, en l’état actuel de la formation des paramédicaux, reste aujourd’hui indispensable pour garantir la pertinence des soins. Le combat affiché contre la domination de la prescription médicale descendante est une approche déjà dépassée qui préoccupe surtout certains professionnels paramédicaux exerçant leur activité en silo et rémunérés à l’acte. Dans cette vision caricaturale, la prescription médicale non qualitative et non quantitative reste médico-légale mais elle a été vidée de son sens. Cette préoccupation qui semble avoir emporté la décision ne correspond plus aux formes de la réadaptation adaptées aux polypathologies chroniques et au vieillissement de la population. En réalité les nouvelles pratiques justifient une mise en forme explicite de la coordination interprofessionnelle dans le champ spécifique de la réadaptation. 5

  4. Que les MK 2 et les orthophonistes 3 quel que soit le niveau du diplôme reconnu (master 1 ou 2, professionnel ou universitaire) ne sont pas formés aujourd’hui au diagnostic médical. Toutes les professions paramédicales ont une large autonomie de décision dans la façon d’appliquer leur art qui repose indiscutablement sur un « diagnostic ». Ces diagnostics reposent sur des modèles multidimensionnels de la santé mais ne constituent pas un diagnostic médical reposant sur la capacité acquise lors de longues formations théoriques et pratiques à relier des symptômes, une nosologie médicale et un répertoire d’interventions possibles, avec une place majeure accordée aux diagnostics différentiels.

  5. Que l’évolution des professions de santé ne peut être décidée par une réingénierie « hors sol » reconfigurant tous les métiers à partir des « besoins » dont nous savons que notre système d’information en rend les catégories encore embryonnaires. L’analyse des modèles étrangers, de la réalité des niveaux de preuves, de la possibilité et de l’intérêt de leur transposition au système institutionnel français s’impose, alors que nous avons 1 médecin pour 2 à 3 km2 contre 1 pour 100 km2 environ au Québec ou en Australie. Elle doit se combiner avec une réflexion concertée sur la réforme des diplômes, des maquettes de formation et des textes relatifs à l’exercice professionnel, en cohérence avec les autres professions de santé. Cette démarche ambitieuse suppose une large réforme de notre système de santé et de la protection sociale non un « cavalier social » inclus d’autorité dans une loi de financement de la sécurité sociale 4,5.

Perspectives pour la santé de demain

Le Haut conseil sur l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) invite, pour pallier les défaillances de la segmentation des prestataires, à organiser et financer notre système de santé par destination des soins 6 (prévention, soins curatifs, réadaptation et accompagnement de la perte d’autonomie). En France, le champ de la réadaptation n’est ni identifié, ni structuré, ni doté d’un système d’information dédié. Il devrait pourtant avoir pour objectif d’optimiser la performance fonctionnelle à toutes les étapes des parcours des personnes dont l’état de santé les confronte au risque de handicap. Il englobe selon l’OMS le secteur multidisciplinaire de la médecine de réadaptation dont en France plus de 2200 médecins de MPR et qui implique bien d’autres disciplines médicales, les professions de réadaptation et les dispositifs d’assistance.

Un champ de la réadaptation structuré, organisé et financé en fonction des besoins de la population doit aujourd’hui s’appuyer sur des équipes de soins médicalisées et spécialisées autant que de besoin, associant médecin, paramédicaux et autres professionnels nécessaires au champ de la réadaptation. Ces équipes multi professionnelles de soins spécialisées doivent associer la mobilité entre établissements, vers le domicile ou les lieux de vie. Elles émanent des structures ambulatoires ou du secteur hospitalier. Rappelons que ce champ inclut aussi la prescription adaptée des dispositifs d’assistance (aides techniques).

Références

  1. L’accès aux soins des masseurs-kinésithérapeutes en Île-de-France. Mars 2021
  2. En 2020, selon le CNOMK, les MK inscrits sont 90315, dont 85% de libéraux et mixtes et 15% de salariés exclusifs.
  3. En 2019 selon la DREES on dénombre 25 607 orthophonistes en France (20 787 libéraux ou mixtes, 1 876 hospitaliers et 2 868 autres salariés).
  4. Courrier du CNP de MPR aux parlementaires
  5. Courrier du SYFMER aux parlementaires
  6. Avis du HCAAM du 22 avril 2021 sur la régulation du système de santé

 

 

Contact : Jean-Pascal Devailly, Président du SYFMER –  06 60 65 25 51 –  jpdevailly@gmail.com