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Que vise le projet de loi ?

Au-delà de l’exposé des motifs, ce projet vise à promouvoir un modèle de soins primaires dont le pivot n’est plus médecin mais un praticien clinicien non médecin qui orientera ou non les patients en seconde intention vers un médecin. En dehors des IPA, ces nouvelles responsabilités diagnostiques et thérapeutiques ne reposent pas sur un exercice en pratique avancée mais sur les professions existantes et leur maquette de formation actuelle.

L’extension du projet aux établissements de soins prouve que la coopération interprofessionnelle et la coordination clinique qui y existent de longue date ne sont pas au cœur de la réforme, mais qu’il s’agit de positionner, à la main du management, des praticiens cliniciens de premier recours qui n’orienteront pas toujours les patients vers les médecins. C’est la fin de l’accès direct au médecin.

Le postulat de ce projet est que sans modification des maquettes de formation, les professions concernées, IPA, kinésithérapeutes et orthophonistes pourraient poser des diagnostics médicaux dans des domaines qu’elles ont auto-définis, puis déterminer en silo les stratégies thérapeutiques requises. Ils deviendraient ainsi par cette forme « d’accès direct » les nouveaux gate-keepers des parcours de santé en décidant selon des algorithmes de triage qui va accéder à un médecin ou non.

Quelle est la méthode ?

Le choix d’exclure les syndicats de médecins et les CNP de la concertation a conduit à une approche autoritaire et expéditive qui en outre n’est pas différenciée selon les filières de santé spécialisées.

Le choix de prioriser les demandes des organisations paramédicales en augmentant les prérogatives du Comité national des coopérations interprofessionnelles, qui ne demandera l’avis des CNP que lorsqu’il l’estimera nécessaire, traduit la volonté d’une réingénierie descendante. Celle-ci est imposée au nom du mythe de l’innovation de rupture dirigée par des experts.

Nous voyons ainsi se profiler des filières autodéfinies par certains professionnels comme le champ « musculosquelettique » ou celui des « soins fonctionnels » qui ne seraient plus sous la responsabilité du médecin généraliste ou spécialiste et qui ne justifierait l’adressage à un spécialiste qu’après « triage », le généraliste étant dès lors shunté.

Or, les maladies chroniques déjà diagnostiquées sont rarement isolées et rarement stables dans le temps. Le diagnostic des complications et pathologies intercurrentes, de même que les stratégies thérapeutiques, reposent sur les compétences du médecin. Les conséquences fonctionnelles et sociales des pathologies justifient des évaluations pluriprofessionnelles étroitement intriquées avec les diagnostics et les traitements médicaux.

Quels sont les risques ?

Les risques sont liés à une formation aujourd’hui inadaptée, à l’absence de garanties de coordination clinique réelle, d’accès à un médecin autant que nécessaire et de protocolisation des soins.

  • Les retards du diagnostic et de mise en œuvre d’un programme thérapeutique adéquat
  • Une coordination clinique purement virtuelle notamment dans les CPTS. Être adhérent à la CPTS ne garantit pas une coordination clinique réelle hors protocole formalisant l’accès au médecin en temps opportun.
  • La fragilisation des dispositifs de soins de réadaptation ambulatoire déjà peu accessibles pour les patients requérant des soins complexes, médicalisés, spécialisés et coordonnés
  • L’aggravation des retards déjà constatés d’accès aux soins prescrits, les déserts paramédicaux épousant les déserts médicaux
  • La prise de contrôle de la coordination clinique, du fait de l’auto-prescription, par les logiques financières qu’il s’agisse de fonds publics ou de capital investissement
  • La multiplication des pratiques peu validées mais simples à réaliser et peu couteuses.
  • La réduction des opportunités de soins médicaux de dépistage et prévention, à rebours des objectifs de nos politiques de Santé.

Quelles sont nos propositions ?

Pour le SYFMER, la loi Rist ignore les spécificités des parcours de santé, ainsi que les conditions de la coordination clinique et de programmes de soins d’efficacité prouvée. Il propose de :

  1. Répondre de façon urgente aux difficultés d’accès aux soins en s’appuyant sur la coopération déjà développée dans et entre les structures : maisons et centres de santé, équipes mobiles, équipes de soins primaires et spécialisées et établissements de santé. Il faudra garantir une coordination clinique réelle dans les CPTS ou les exclure des structures coordonnées au sens de cette loi.

2 Définir le cadre de l’exercice coordonné qui garantira la sécurité des soins au sein d’une équipe médicalisée par une coopération effective entre professionnels autour de protocoles formalisés. Cela ne peut relever d’une vague promesse hypothétique, c’est au contraire le préalable indispensable à l’évolution des métiers exerçant en coopération interprofessionnelle.

  1. Eviter les pertes de chances et inégalités de santé rend à ce jour inconcevable d’attribuer autoritairement la possibilité aux IPA, masseurs-kinésithérapeutes et orthophonistes d’un diagnostic médical et d’initier un traitement médical, médicamenteux et/ou non médicamenteux. Diagnostic médical et stratégie thérapeutique supposent un diagnostic étiologique et fonctionnel ainsi que l’établissement d’un programme de soins ciblé et coordonné par un médecin. L’exercice en pratique avancée, notamment pour la prévention et le suivi des maladies chroniques et des limitations fonctionnelles stabilisées, doit s’inscrire dans une organisation médicale et territoriale protocolisée garantissant à la fois la coordination clinique et la possibilité d’accéder à un généraliste ou spécialiste en temps opportun autant que nécessaire.
  2. Elaborer des référentiels de formation des professions exerçant en pratique avancée en concertation étroite au sein et entre les filières spécialisées

Une déréglementation globale et aussi peu concertée des diagnostics et des traitements médicaux que celle proposée dans cette loi ne peut être fondée en raison. Elle relève de choix politiques qui ne peuvent s’exonérer de solides prérequis fondés sur un réel dialogue entre parties prenantes.

  1. Etablir un recueil obligatoire d’évènements indésirables de ces nouvelles pratiques auprès des professionnels et des usagers, afin d’accompagner les nouvelles modalités de travail interprofessionnel, dans le but de réguler et d’adapter en temps réel les déviances organisationnelles possibles.